Moduler l’inflammation intestinale
En tant que diététicien-nutritionniste, je constate qu’une majorité des demandes concerne des troubles intestinaux dits mineurs mais persistants. La plupart du temps les signes cliniques expriment de l’inflammation intestinale. Si ce n’est en soit « pas grave », ces troubles qui durent dans le temps indiquent un phénomène chronique. Or cette inflammation peu à la fois gêner l’assimilation mais aussi se propager à d’autres site de l’organisme.
Qu’est-ce que l’inflammation ?
L’inflammation est un phénomène naturel nécessaire au bon fonctionnement de l’organisme. En cas de tissu lésé, lors d’une entorse par exemple, le système immunitaire réagit et concentre ses efforts afin de reconstruire les tissus abîmés. Mais avant de reconstruire, notre système immunitaire déblaie afin de repartir sur des bases saines. Ce phénomène s’accompagne généralement de 5 signes :
- Rougeur ;
- Œdème ;
- Chaleur ;
- Douleur ;
- Impotence fonctionnelle, et donc un dysfonctionnement de la partie du corps touchée.
Le problème c’est quand l’inflammation et donc le système immunitaire s’emballe. On est alors tenté de prendre des anti-inflammatoires afin de contenir la douleur et empêcher cette réaction.
L’inflammation intestinale
Au niveau intestinal, l’inflammation est difficile à observer. Cependant des signes cliniques peuvent nous l’indiquer. Ce sont généralement pour les plus courants :
- des douleurs abdominales ;
- une sensation de pesanteur au niveau du ventre ;
- des troubles digestifs ;
- des diarrhées ;
- des crises de colite.
Dans de nombreux cas, cette inflammation peut être de bas grade. C’est-à-dire que l’on ne la ressent pas directement, ou en tout cas pas avec des signes cliniques aussi fréquents ou aigus. Cependant, le patient se constate alors de nombreux petits soucis digestifs qui cumulés démontrent que l’intestin est loin d’être optimal.
La nécessité de prendre en charge l’inflammation
Les cellules touchées par l’inflammation communiquent avec le système immunitaire et les cellules de l’organisme. Cette communication se fait via des médiateurs cellulaires, les interleukines. Cette inflammation peut alors s’étendre à d’autres organes ou parties du corps. Dans le Syndrome Métabolique cela constitue un facteur de risque cardio-vasculaires. Il y a production d’inflammation de bas grade au niveau du tissu adipeux viscéral. Ce qui peut provoquer un malaise cardiaque ou un infarctus. En effet, le cholestérol s’accumule (même à taux normal) au niveau des artères, il forme alors de la plaque d’athérome. Or l’inflammation peut se propager à cette plaque d’athérome et la faire décompenser provoquant l’obstruction d’une artère. Dans un autre registre, les centres de formation de football font généralement dépister les problèmes dentaires afin d’éviter que l’inflammation buccale puisse provoquer des troubles articulaires (tendinites).
Les facteurs influençant défavorablement l’inflammation :
- le stress, qu’il soit physique ou psychologique ;
- les infections car elles provoquent une réaction du système immunitaire ;
- mais aussi notre alimentation, de par le régime adopté.
Modulation de l’inflammation par l’alimentation
Que se passe-t’il quand on a un régime trop gras et trop sucré ?
Si on ne comprend pas encore le fonctionnement précis, les études montrent que la richesse de l’alimentation actuelle favorise l’inflammation. Il y a de plus en plus d’études qui mettent en avant qu’une alimentation trop riche en sucres et graisses l’influencent défavorablement.
Il apparaît que les aliments ultra-transformés sont pour une grande majorité déséquilibrés au niveau de leur composition. De plus la qualité même des ingrédients utilisés est à mettre en cause. Et ce, sans même parler des additifs et autres constituants entrant dans leur composition.
Au-delà du bien fondée de « cuisiner » avec des produits de bonne qualité, certains choix sont déterminants quant à la modulation de notre inflammation.
Le choix des bonnes graisses
Très souvent quand je reçois en consultation de diététique et nutrition pour la première fois, la principale recommandation donnée est non pas de réduire, supprimer, éviter, mais choisir et enrichir en bonnes graisses.
La nature des graisses que nous consommons influence directement notre statut inflammatoire. Cela vient du fait que 2 familles de lipides indispensables les oméga-3 et 6 qui sont en concurrence. Par indispensable, il faut comprendre que le corps ne sait pas les fabriquer. C’est donc par l’alimentation qu’ils sont apportés. En effet, elles sont toutes les deux traitées par une enzyme, la delta-5-désaturase. A partir de là, ces omégas vont soit donner des prostaglandines pro-inflammatoires, soit anti-inflammatoires.
Les omegas-6 (pour leur grande majorité) vont favoriser la voie des prostaglandines PGE1 alors que les omégas-3 vont favoriser les PGE2.
L’importance d’un bon ratio oméga-3 et oméga-6
L’alimentation doit avoir comme objectif de fournir un bon ratio entre ces deux familles de lipide. Il faut par conséquent que l’alimentation apporte 4 à 5 oméga-6 pour un oméga-3.
Or l’alimentation moderne, de par son mode de production est prédominante en oméga-6. Des études faites au début des années 2000 le montre clairement. Effectivement la nourriture des animaux d’élevage influence la composition de leur graisse corporelle. Ce qui après ingestion, influence la notre. Aujourd’hui, certains labels comme « Bleu, Blanc, Cœur » garantissent une alimentation animale avec une base de lin, une plante riche en oméga-3. Des moyens simples d’augmenter la ration alimentaire sont également de consommer des huiles bien équilibrée ou riche en oméga-3. L’huile d’olive fait partie du premier groupe, alors que les huiles de colza, et lin sont riches en oméga-3. Certaines graines sont également riches en oméga-3 comme les noix de Grenoble et graines de Chia.
Les marqueurs de l’inflammation
La protéine C réactive
Pour évaluer le statut inflammatoire certains marqueurs sont à rechercher. Le plus communs est la Protéine C Réactive[1]. Elle n’est pas spécifique de l’inflammation intestinale est n’est pas considérée comme un problème tant qu’elle n’atteint pas des seuils de plusieurs fois sa norme. En l’occurrence elle est assez mauvaise pour évaluer l’inflammation de bas grade. Cependant, on peut doser l’inflammation de bas grade, bien plus sensible.
Un marqueur spécifique de l’inflammation intestinale : la Calprotectine fécale[2]
Ce marqueur permet d’avoir une idée assez précise de l’inflammation intestinale, ce marqueur en est spécifique et est utilisé par les gastro-entérologues pour évaluer le niveau inflammation du tube digestif.
L’inflammation intestinale serait-elle en lien avec des intolérances alimentaires ?
Aujourd’hui plusieurs aliments sont incriminés à tort ou à raison dans leur implication de l’inflammation intestinale. Le gluten et le lait de vache sont les principales cibles de débat.
Une chose est sure, de nombreuses personnes semblent dire que l’éviction de l’un ou l’autre a pu améliorer leur santé ou les troubles digestifs dont elles souffraient.
Le gluten
Des travaux datant de la fin des années 2000 montrent une corrélation entre gluten et implication d’une mycose (un champignon) qui a l’habitude de coloniser nos tubes digestifs, le Candida Albicans[3]. Les études faisaient état de ce mix dans la maladie de Crohn, la RCH (rectocolite hémorragique) et même la maladie cœliaque[4]. Le lien était fait entre inflammation et gluten. Si cette mycose est très commune et touche près de 60% des personnes, dans un contexte particulier, et avec une du gluten en quantité, une réaction immunitaire peut apparaitre et mettre le feu aux poudres.
Le lait de vache
Pendant des années nous avons été poussés à consommer du lait de vache. Après la seconde guerre mondiale, c’est pour l’apport en protéines de bonne qualité qu’il représente, puis pour sa richesse en calcium. Mais depuis quelques années, le lait est décrié. Comme le gluten. Il s’avère que dans un premier temps, il soit fait question d’intolérance au lactose. Celle-ci touche la plupart des adultes qui perdent l’enzyme permettant sa digestion la lactase. Mais indépendamment de cette perte de digestibilité, ce sont les protéines du lait qui sont mises sur le banc des accusés. Il est indéniable que l’intolérance au lactose favorise l’inflammation intestinale, mais le problème vient principalement de la perte d’étanchéité qui en résulte. L’intestin passe d’imperméable à perméable et laisse passer des fragments de protéines du lait entrer dans l’organisme sans digérées. Parmi ces protéines, celle qui pose le plus de difficulté est la caséine A1 qui peut provoquer des troubles à distance par activation du système immunitaire. Encore une fois le lien avec l’alimentation est fait.
Cependant il est indispensable de ne pas faire d’éviction « préventives », afin de ne pas déséquilibrer le régime alimentaire.
Comment prendre en charge l’inflammation intestinale avec la micronutrition ?
L’influence du microbiote
Il est maintenant bien établi que la prise en compte de notre microbiote (les bactéries vivant dans notre intestin) est indispensable à notre santé[5]. La relation avec ces bactéries s’effectue dans les deux sens. C’est-à-dire qu’on se rend compte que non seulement nos choix alimentaires et donc notre régime alimentaire influence sa composition. Mais aussi que celui-ci peut orienter nos choix alimentaires. Concernant l’inflammation, l’influence du microbiote est de plus en plus évidente. Celui-ci par sa diversité et les familles de bactérie qui le compose communique avec notre système immunitaire via les interleukines, ces médiateurs cellulaires qui permettent la communication entre les cellules.
Les fibres
Les bactéries « favorables » à notre organisme ont besoins de certains nutriments pour se développer, les fibres en constituent le terreau le plus fertile. D’où l’intérêt d’avoir suffisamment de végétaux dans notre régime alimentaire. Les recommandations évaluent nos apports nutritionnels conseillés à 25 à 30g par jour. La recommandation du PNNS (Plan Nationnal Nutrition Santé) de manger 5 fruits et légumes par jour prend tout son sens. Bien sûr toutes les fibres ne sont pas égales et favoriser les sources d’inulines sera une des solutions pour favoriser les bonnes bactéries. Il existe aujourd’hui des mélanges prébiotiques, les meilleurs produits contiennent cette de l’inuline et des fructo-oligo-saccharides (FOS). L’inconvénient de cette solution est que ces fibres fermentent et peuvent accroitre les troubles digestifs.
Les nutriments anti-inflammatoires pour l’intestin
Certains nutriments permettent aussi de lutter contre l’inflammation de la muqueuse intestinale. La L-glutamine est en première ligne et permet avec des doses importantes de bien nourrir les entérocytes, les cellules composant la paroi de l’intestin. Comme pour les apports en fibres, des mélanges existent qui apportent la fameuse L-glutamine[6]. Les meilleurs produits apportent aussi du zinc et de la vitamine A à des fins anti-oxydantes.
La piste probiotique ?
Une dernière piste intéressante pour lutter contre l’inflammation intestinal est d’utiliser des souches probiotiques. Les probiotique sont des bactéries « amies ». La plus grande difficulté est d’identifier les souches les plus favorables. L’efficacité d’un probiotique dépend donc des souches, de leur dosage (quantité), et de leur résistance à passer l’estomac. Certains mélanges ont d’ailleurs fait l’objet d’études montrant des résultats probants sur la réduction des troubles fonctionnels intestinaux[7].
[1] Xavier Roblin and others, ‘[Biomarkers in inflammatory bowel diseases]’, Presse Medicale (Paris, France: 1983), 43.1 (2014), 66–73 <https://doi.org/10.1016/j.lpm.2013.11.004>.
[2] Tarek Chaabouni, Hana Manceau, and Katell Peoc’h, ‘Interest of Fecal Calprotectine Dosage in Inflammatory Bowel Diseases, State of the Art and Perspectives’, Annales De Biologie Clinique, 74.4 (2016), 385–94 <https://doi.org/10.1684/abc.2016.1172>.
[3] Marion Corouge and others, ‘Humoral Immunity Links Candida Albicans Infection and Celiac Disease’, ed. by Julian R Naglik, PLOS ONE, 10.3 (2015), e0121776 <https://doi.org/10.1371/journal.pone.0121776>.
[4] W F Nieuwenhuizen and others, ‘Is Candida Albicans a Trigger in the Onset of Coeliac Disease?’, Lancet, 361.9375 (2003), 2152–54.
[5] Rui-xue Ding and others, ‘Revisit Gut Microbiota and Its Impact on Human Health and Disease’, Journal of Food and Drug Analysis, 2019 <https://doi.org/10.1016/j.jfda.2018.12.012>.
[6] Jamie N. Pugh and others, ‘Glutamine Supplementation Reduces Markers of Intestinal Permeability during Running in the Heat in a Dose-Dependent Manner’, European Journal of Applied Physiology, 117.12 (2017), 2569–77 <https://doi.org/10.1007/s00421-017-3744-4>.
[7] Sophie Drouault-Holowacz and others, ‘Anti-Inflammatory Potential of the Probiotic Dietary Supplement Lactibiane Tolérance: In Vitro and in Vivo Considerations’, Clinical Nutrition (Edinburgh, Scotland), 25.6 (2006), 994–1003 <https://doi.org/10.1016/j.clnu.2006.03.006>.